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La Conseillère d’Etat Béatrice Métraux a été élue pour un deuxième mandat à la tête du Département des institutions et de la sécurité (DIS). A l’heure actuelle, la sécurité est sans doute la préoccupation principale de ses concitoyens, avec la qualité de la vie. Elle répond à nos questions sur ce sujet.

Dossiers Publics: Madame la Conseillère d’Etat malgré les problèmes actuels, on a l’impression de bien vivre dans le canton de Vaud. Qu’en est-il de la sécurité et quelle est l’expertise de votre Département des institutions et de la sécurité (DIS) à ce sujet?

Béatrice Métraux: Effectivement le Département des institutions et de la sécurité détient une expertise à ce sujet. Mais cette expertise, nous la partageons avec les municipaux et les syndics de ce canton, qui sont en charge de la Police. Dans le canton de Vaud, suite à un vote populaire, nous avons mis en place la Police coordonnée. Cela signifie que le territoire vaudois est géré par 9 corps de Police régionale et la Police cantonale. Dans les grandes villes comme Lausanne, Vevey, Montreux ou Yverdon la sécurité est assurée par une association qui est soit communale, soit intercommunale et qui est indépendante de la Police cantonale. 

Cela ne signifie pas que chacun peut faire de la sécurité dans son coin. Nous devons coordonner ces actions au sein du Conseil cantonal de sécurité que je préside. Nous y abordons toutes les questions de Police coordonnée, et développons des approches au plus près des besoins des citoyens, comme la police de proximité.

Justement, la Police de proximité est-elle efficace?

La Police de proximité est un concept très important aux yeux de toutes les polices du canton, qu’elles soient cantonale, régionales ou municipale. Elle veut aller au-devant du citoyen. Lausanne le fait, Yverdon le fait, la Police cantonale le fait, par une présence plus importante dans les villes. Par exemple, à Coppet, nous avons rouvert un poste de gendarmerie. Nous avons développé le concept de proximité avec des bus mobiles de la gendarmerie qui sillonnent le territoire des communes qui ne disposent pas de leur propre police. La population a très bien accueilli ce concept. Nous ressentons bien que le citoyen a besoin d’être rassuré. Et pour le parti des Verts auquel j’appartiens, la sécurité de nos concitoyens fait partie de la qualité de la vie, qui est l’une de nos préoccupations principales.

Qu’en est-il d’ailleurs de la criminalité dans le canton ?

Il convient de remarquer que, depuis 2013, la criminalité a baissé de 40%. Quand vous dites qu’on vit bien dans ce canton, je partage votre analyse. Les raisons de cette diminution sont multifactorielles: elles sont le fruit de la collaboration entre les différentes Polices, de l’engagement du Ministère public dans l’opération Strada pour lutter à la fois contre le deal, et contre les vols, enfin, de l’engagement du Service pénitentiaire qui a fait un gros effort depuis 2012. Oui nous vivons bien une criminalité en baisse, mais il faut s’abstenir de tout triomphalisme en la matière et rester humbles, des problèmes subsistent, comme celui des vols à l’astuce ou le deal de rue qui nous préoccupent. 

Sujet chaud et qui intéresse au plus haut point nos lecteurs: quelles solutions apportez-vous au deal de rue dans votre canton? 

Plusieurs villes se sont en effet trouvées confrontées au deal de rue : Yverdon, Vevey, Bex. La Police cantonale est intervenue dans ces villes à la demande des autorités communales en secondant les opérations anti-deal des polices communales ou régionales. Il s’agissait essentiellement de mettre la pression sur les dealers et de répondre aux inquiétudes des citoyens et commerçants. 

A Lausanne, l’opérationnel appartient à la Police municipale. C’est donc en toute autonomie que la Ville a décidé de mettre en place les patrouilles de deux policiers, de 7 heures à 22 heures. Nous sommes toutefois partie prenante avec Lausanne, car tout ce qui concerne la chaîne pénale est traité dans mon Département. Dès mon arrivée au Département, j’ai d’ailleurs mis sur pied des séances de coordination régulières entre tous les acteurs:  Police cantonale, Police municipale de Lausanne, Ministère public, Ordre judiciaire et Service pénitentiaire. Bien évidemment, nous observons la plus grande séparation des pouvoirs. 

Pour revenir au deal de rue, si lausanne a mis en place son opération de notre côté, le Service pénitentiaire fait en sorte de réserver un maximum de places de détentions pour les dealers. La situation actuelle est la suivante : grosso modo, nous avons un millier de détenus dans le canton pour 800 cellules et plus de la moitié de ces places sont occupées par des détenus condamnés pour des infractions en lien avec la loi sur les stupéfiants. Donc, nous estimons que le Service pénitentiaire remplit sa mission. Mais il faut bien rappeler que le deal de rue existe parce qu’il y a des consommateurs. C’est un problème socio-sanitaire et non uniquement sécuritaire. 

Contrairement à une croyance répandue, les dealers ne sont pas des requérants d’asile. Comme le montrent les statistiques en matière de criminalité, le marché de la cocaïne est détenu majoritairement par des ressortissants d’Afrique de l’Ouest. L’héroïne l’est davantage par les gens de l’Est de l’Europe. Ces gens-là arrivent par l’Italie, l’Espagne, le Portugal. Avec le visa Schengen, ils sont ici en plein droit pour trois mois. Du point de vue de la loi sur les étrangers, ils ont les titres nécessaires. Mais je comprends l’angoisse des citoyens et nous voulons y répondre.

De ce fait, le deal de rue ne peut que s’accroître?

Ce n’est pas certain. A un moment donné, le marché est saturé. Et les saisies et les contrôles d’identité permettent de remonter les filières. Ils ont également un effet de dissuasion. La pression mise par les opérations de police déstabilise les réseaux, comme nous pouvons le remarquer. Cela a une efficacité. Ceux qui sont condamnés doivent purger leur peine. Et alors, on revient aux problèmes que Monsieur Maudet et moi-même avons rencontrés, à savoir l’inadéquation des infrastructures pénitentiaires à l’évolution de la criminalité. C’est pourquoi lors de la dernière législature nous avons créé et transformé plus de 250 places de détention, ce qui est énorme. Nous avons créé de toutes pièces 200 places et j’en ai aménagé 50 autres.

Nous avons trente ans de retard dans les infrastructures pénitentiaires.

EPO Projet des Grand-Marais, (nouveau Bois-Mermet).
La Conseillère d’Etat Béatrice Métraux présente le projet devant le bâtiment des EPO, lundi 19 mars 2018.
EPO Projet des Grand-Marais, (nouveau Bois-Mermet).
La Conseillère d’Etat présente le projet devant le bâtiment des EPO, lundi 19 mars 2018.

Mais la création de places de prison ne s’arrête pas là. Quels sont vos nouveaux projets?

Il convient tout d’abord de préciser que nous avons trente ans de retard dans les infrastructures pénitentiaires. En septembre passé, le Grand Conseil a voté 12 millions de francs de crédit d’étude pour obtenir 410 places d’ici 2025-2030. Il faudra les créer de toutes pièces. Les 200 premières devraient apparaître vers 2023-2025. La deuxième phase est prévue pour 2030. En attendant, le Conseil d’Etat a chargé le Département des finances, celui des Infrastructures et le mien de trouver une solution d’urgence pour les détenus avant jugement (23 heures sur 24 heures en cellule et une heure de promenade). Les infrastructures doivent cependant correspondre aux exigences de la loi. La première étape est de trouver un lieu d’implantation de la structure d’urgence.

Nous remarquons une évolution de la typologie des détenus. Nous avons beaucoup de grands criminels et beaucoup de détenus qui souffrent  de troubles psychiques, ainsi qu’une évolution de la criminalité liée aux stupéfiants. Afin de débattre de la situation carcérale, le Grand Conseil m’a demandé de mettre sur pied les Assises de la Chaine pénale, qui auront lieu le 10 décembre prochain. En résumé le sujet de cette journée est moins de prison et plus de réinsertion. Que fait-on par exemple avec la délinquance liée à la drogue? Ne doit-on pas réfléchir autrement? L’entrée en vigueur du nouveau droit des sanctions permet les peines alternatives: le travail d’intérêt général devient une mesure d’exécution de la peine. Il y a également la solution du bracelet électronique. Nous avons d’ailleurs multiplié par deux les décisions de bracelet électronique et de travail d’intérêt général.

Avez-vous trouvé une solution pour la prise en charge des détenus ayant des problèmes psychiques?

Curabilis a été ouvert il y a quelques années et répond aux exigences du concordat latin concernant la prise en charge des personnes psychiquement atteintes. Un certain nombre de places sont attribuées au canton de Vaud. Et dans chaque établissement, nous disposons d’une unité de prise en charge de ces détenus. Il faut rappeler que Curabilis a donné lieu à trente ans de tergiversations. Or nous avons beaucoup de détenus souffrant psychiquement et qui ont droit à des mesures d’accompagnements. 

Pour ma part, je suis arrivée le premier janvier 2012 au Conseil d’Etat et, depuis, j’ai fait en sorte que les conditions d’incarcérations soient dignes.

Vous êtes aussi à la tête des affaires religieuses. Quelle est la solution de votre canton pour assurer la paix confessionnelle et le respect de l’Etat de droit?

En novembre 2014, nous avons présenté notre règlement d’application de la loi sur la reconnaissance des communautés religieuses. Un règlement extrêmement exigeant, qui permet la reconnaissance des communautés et non d’une religion. La communauté doit déposer sa demande auprès du Conseil d’Etat, en signant une déclaration liminaire. Celle-ci l’engage très fortement à respecter l’Etat de droit, l’égalité entre les sexes, le libre arbitre, le droit de quitter sa communauté religieuse, l’interdiction des mutilations sexuelles, l’interdiction de faire du prosélytisme religieux auprès des enfants à l’école, notamment. Ensuite, il y a une phase d’examen de 5 ans durant laquelle on étudie l’intégration de la communauté religieuse dans la société vaudoise. On lui demande particulièrement de participer au dialogue religieux et à la paix confessionnelle. A ce jour, la communauté anglicane a signé cette déclaration liminaire et nous l’examinons. 

La nouvelle Constitution de 2003 a reconnu deux communautés religieuses comme des institutions de droit public: l’Eglise évangélique réformée et l’Eglise catholique romaine en tant qu’institutions de droit public dotées de la personnalité morale. Un budget annuel de 61 millions de francs est alloué à ces deux communautés.  

La communauté israélite a, quant à elle, le statut d’institution d’intérêt public, à l’instar de toute autre communauté religieuse qui aurait obtenu la reconnaissance. Pour une communauté, l’avantage d’être reconnue d’intérêt public, c’est le dialogue religieux avec les autres communautés, les communications bilatérales avec l’Etat et multilatérales avec les autres communautés et l’Etat. Les communautés reconnues peuvent être présentes dans les hôpitaux, les EMS et dans les prisons. Et enfin, ces communautés reconnues pourraient, à certaines conditions, bénéficier d’une petite partie du budget des 61 millions pour les missions qu’elles exercent en commun avec les deux Eglises de droit public, comme la prise en charge des plus démunis.

Enfin, nous voulons une structure qui puisse être contrôlée (à savoir dans son financement et par les procès-verbaux de ses assemblées générales) et qui respecte le droit suisse. Alors oui, c’est un gros travail pour ces communautés, mais nous l’avons voulu ainsi. La reconnaissance est mutuelle et institutionnelle.

Le service de la curatelle est devenu non obligatoire. Comment convaincre vos concitoyens de continuer à rendre ce service d’intérêt public?

Nous avons mis fin à l’obligation de prendre en charge des curatelles. Le canton de Vaud était le dernier à rendre les curatelles obligatoires. Nous avons beaucoup développé la curatelle volontaire et fait appel à la solidarité, pour les cas les moins lourds. Cet appel a connu un grand succès. Nous avions besoin grosso modo de 400 curateurs par an et plus de 1000 personnes se sont annoncées. Je précise que nous avons doublé les indemnités.

Quels sont les premiers résultats de la help-line sur la radicalisation?

Concernant la radicalisation, le Conseil d’Etat mis des moyens nécessaires. Il a doublé l’effectif du service de renseignements de la Police cantonale et créé une help-line, début septembre. Nous avons une structure qui permet d’entendre les craintes de la population vis-à-vis de la radicalisation et qui permet la prise en charge de personnes, si nécessaire. Notre dispositif s’inscrit dans celui de la Confédération qui a développé un plan national d’action pour prévenir l’extrémisme violent et la radicalisation. Il existe également des procédures de signalements dans les écoles. Tous les cantons sont attentifs et y mettent les moyens. La help-line est un numéro d’appel. Au bout de la ligne, il y a des policiers formés. À eux d’aiguiller les demandes vers une intervention sécuritaire urgente ou vers la plate-forme opérationnelle chargée de la prévention, en coordination avec les services sociaux, médico-psychologiques ou scolaires. Nous en dresserons un bilan après quelques mois d’activité. 

Genève avait livré un bilan pour sa help-line: une septantaine d’appels en un an. C’est à la fois peu et énorme, si l’on considère que des spécialistes estiment chacun de ces cas comme alarmant.