Publicités

Personnalité clé du paysage médiatico-sportif romand, le président du FC Sion est l’un des grands constructeurs de Suisse. Rencontre à Martigny avec un géant du bâtiment

En Valais et bien au-delà, Christian Constantin est une légende. Hyperactif notoire, homme libre prétendu incontrôlable, ce personnage romanesque autrefois gardien de but professionnel dirige entre nez fin, pragmatisme aiguisé et quelques coups de sang légendaires un empire immobilier: Christian Constantin SA. Un bureau d’architecture fondé à vingt-et-un ans et qui, près de quatre décennies plus tard, compte parmi les sociétés d’entreprise générale et de promotion immobilière parmi les plus reconnues du marché suisse. Nous l’avons retrouvé dans son bureau situé à la Porte d’Octodure, complexe fameux bâti à Martigny-Croix et depuis lequel il dirige sa «marque»: une entreprise déjà responsable de quelques deux millions de mètres carrés de surfaces construites de Sion à Genève et au-delà. Échange avec un titan découvert ce jour-là en homme affable, disponible, féru d’histoire de l’architecture et pour qui «bâtir» est d’abord affaire d’aventure humaine partagée.

Dossiers Publics: Quarante ans après vos débuts, comment envisagez-vous votre métier?
Christian Constantin: Dès que tu construits un bâtiment, tu sais qu’à moins d’un cataclysme tu l’auras devant les yeux pour le restant de tes jours. Par conséquent, si tu as fait une «merde», eh bien tu sais que c’est une «merde» qui va rester. Construire, c’est donc d’abord une responsabilité vis-à-vis de soi-même. Il faut que ce soit bien fait et que ça apporte aux autres quelque chose de différent.

Un bâtiment réussi, c’est quoi?
Cela peut être un bâtiment intégré, par exemple, ou un immeuble qui n’a pas d’âge. Je pense notamment à cette construction datée de 1901 à Montreux, située juste derrière le Palace, qu’on a terminée il y a quelques années. Elle n’avait jamais pu être achevée à cause des guerres. Elle représente aujourd’hui une lecture des constructions élégantes qu’on trouvait sur la Riviera vaudoise au tout début du XXe siècle.

Comment la notion du beau a-t-elle évolué dans le batiment ces dernières décennies?
Une de mes premières propriétés a été la Villa Soleil à Sion. Elle a été construite entre 1963 et 1964 par Paul Morisod, Jean Kyburz et Edouard Furrer, des architectes du coin qui avaient fait leur stage aux États-Unis chez Frank Lloyd Wright. Ils se sont inspirés de sa célèbre Maison sur la cascade (1939): une architecture tendue, moderniste, qui privilégie le béton et le verre. À sa construction, la Villa Soleil a fait scandale à Sion. Ça a été très violent. Aujourd’hui, elle est protégée et considérée comme un bijou architectural. Tout cela pour dire que la notion du beau évolue parfois très fortement aux cours des générations.

Bâtiment ou football: tu dois respecter le mec que tu as en face de toi et terminer ce que tu as commencé afin de sortir la tête haute.

Vous plongez-vous dans l’histoire de l’architecture quand vous concevez un projet?
Je suis quelqu’un qui recherche le futur dans l’histoire. Par exemple, si je m’intéresse à l’architecture romaine, je trouverai là des éléments que je pourrais reprendre et appliquer aujourd’hui. Maintenant, disons que je doive concevoir des bains thermaux: je serais probablement aussi intéressé par ce que les romains ont réalisé. C’est ainsi: l’histoire répond souvent à certains besoins. Après, intervient une autre problématique: celle des matériaux. Si des siècles plus tôt on avait disposé de la technologie nécessaire pour concevoir dans une seule pièce des parois vitrées de sept mètres de long par trois mètres de haut comme aujourd’hui, on peut imaginer qu’elle aurait été employée bien plus tôt. Réinventer l’architecture, je ne crois donc pas que ce soit possible. On la développe en fonction des possibilités techniques disponibles au moment où l’on construit.

La signature Constantin, c’est quoi?
D’abord, je veux dire qu’il y a deux axes majeurs auxquels peut être confronté un bâtisseur: le théorique et le pratique. Quand tu créés un projet, tu peux imaginer plein de choses. Mais quand tu construis, il y a toutes les «emmerdes» inévitables que tu vas devoir affronter: problèmes financiers et d’autorisations, problèmes avec les clients, les entreprises ou bien les délais. Mais à la fin, tu as bâti! Moi, ce que j’aime, c’est suivre un projet depuis le début jusqu’à la fin. Finir les choses: c’est ça qui compte. Pourquoi? Pour l’adrénaline. Comme dans le foot où dès que tu pénètres dans un vestiaire, tu ressens toute la tension, l’énergie, et puis la sueur. C’est pareil dans la construction. En fin de journée, quand tu entres sur un chantier et que tu sens la chaleur et l’odeur du béton qui sèche, ça te ramène à toute l’implication humaine qui se cache derrière ce projet.

Quelle notion puisée dans le football avez-vous appliqué à votre métier?
La première: lorsque tu parles aux gens, tu dois d’abord t’adresser à leur cœur. Bâtiment ou football: tu dois respecter le mec que tu as en face de toi, et terminer ce que tu as commencé afin de sortir de là la tête haute. Ces notions, je les applique à tous les compartiments de ma vie. Ça m’a permis de mener à terme environ 90% des projets que j’ai imaginés. Et cela, même si certains d’entre eux ont pris parfois vingt ans pour voir le jour.

Quels projets ont particulièrement compté dans votre carrière?
Difficile à dire… Disons que cet immeuble de 1906 à Montreux, situé près de l’Alcazar et qui devait être démoli avant qu’on le sauve a été important pour moi. Il a pour particularité d’avoir été conçu par des artisans fantastiques qui avaient réalisé là des plâtres, des vitraux ou des moulures simplement extraordinaires. Pour ces raisons, c’est un projet que j’ai beaucoup aimé. Bien sûr, je fais aussi des centres commerciaux dont la durée de vie ou la fonctionnalité seront très différentes. Mais dans mon activité, ces projets très distincts coexistent facilement.

Christian Constantin coordonne les travaux du chantier des Terrasses de Lavaux

Parmi les projets en cours, lesquels vous tiennent particulièrement à cœur?
Celui des Terrasses de Lavaux mené sur le site de l’ancien Grand Hôtel du Signal à Puidoux. Mon voisin direct, c’est l’UNESCO. Là, je fais un projet à hauteur d’environ 300 millions qui comprend plusieurs dizaines de résidences avec services hôteliers et une zone d’activités sportives. Pourquoi? Parce que je pense qu’on est entré dans une ère où le mouvement va prendre de plus en plus d’importance. Cela parce que le digital détourne l’humain de son corps. En robotisant l’activité, on est en train de piéger l’être humain dont on sait la tendance naturelle à l’oisiveté. Je crois que ce qui est en train de s’estomper, c’est le courage, la bravoure. Les Terrasses de Lavaux se construisent en réaction à ce constat. Ce sera un complexe consacré à la performance.

L’écologie est-elle une notion que vous avez à l’esprit quand vous construisez?
Ça a toujours compté pour moi, et pour le Valais en général! Quand j’étais gamin, on allait jouer au foot dans les champs des vaches. Tu pouvais être sûr en arrivant là le lundi que quelqu’un était venu faire un feu durant le week-end en laissant son bordel derrière lui. Les animaux pouvaient se blesser en mangeant ce qui restait des boîtes de conserve abandonnées, et notre place de jeu était bousillée. On a donc tout de suite appris qu’on avait tout intérêt à prendre soin de l’environnement. Depuis, quand je bâtis, c’est toujours
en fonction de la préservation de la nature.

Vous dessinez toujours?
J’apporte toujours mon trait aux projets que je mène dans mon bureau d’architecture. J’ai dans mon équipe un type avec qui je travaille depuis plus de trente ans, Vasile Muresan. Il a le mérite de me comprendre immédiatement quand je lui fais trois traits afin de préciser ou de rectifier un dessin ou bien un plan. C’est fondamental pour moi d’intervenir personnellement sur l’aspect créatif des projets que je poursuis.

Quel est votre programme pour les prochaines années?
En tout, sur 2019-2023, je dois réaliser un total de trente-cinq opérations. Ça représente un tiers du million de mètres carrés de terrain à bâtir qu’il reste en ma possession.