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Suerie Moon est Codirectrice du Centre de santé globale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (l’HEID), elle est également experte des pandémies. Nous avons sollicité son point de vue sur des questions entourant la réponse mondiale en termes de gestion de crise.

Face au virus qui met à rude épreuve pouvoirs et capacités institutionnels, Suerie Moon relève l’importance de renforcer les systèmes de santé. Sans pour autant attirer la controverse, elle déclare que « les sociétés les plus industrialisées ont eu un réveil brutal », car la pandémie a surtout mis en évidence des faiblesses aux pays riches, par exemple, aux États-Unis, l’un des exemples flagrants. Outre les soins, et un réseau hospitalier adapté aux besoins de la société, il faudrait un système de santé apte à surveiller et à analyser des données provenant du pays entier, tout en mobilisant des équipes pour effectuer le traçage des contacts. À ce titre, ce sont les clés de la santé publique classiques dont de nombreux pays en Occident ont manifestement permis de tomber en ruine, n’ayant que très peu de connaissances en termes de gestion d’épidémies de maladies infectieuses.

Compétition extrême
En contrepartie, des sommes astronomiques sont désignées à l’échelle mondiale afin de trouver un vaccin. Le Centre de santé global, pour sa part, atteste d’une belle coopération internationale entre chercheurs, des dizaines de milliers d’articles ont été publiés notamment au sujet du SARS-CoV-2. La directrice se réjouit de la mobilisation rapide et sans précédent pour partager leurs conclusions. Néanmoins, en ce qui concerne le développement d’un vaccin, Suerie Moon déplore un manque d’échanges et de collaboration. Elle regrette une dynamique de compétition extrême, une véritable course entre états et institutions peu propice à l’avancement de la science remettant en cause la fiabilité du futur vaccin. « Personne n’a besoin de rappeler au monde que nous sommes dans une situation exceptionnelle. Il s’agit d’une urgence. Nous devons donc sortir des sentiers battus, » estime-t-elle, dans l’espoir d’une association plus étroite avec le secteur privé.

Maîtriser la maladie d’abord,

retourner à la vie normale ensuite

Entre échec et réussite
Vis-à-vis de la collaboration entre gouvernements, l’une des plus grandes préoccupations de la communauté scientifique concerne la menace des États-Unis de se retirer de l’OMS, et l’éventuel impact négatif sur le partage d’informations essentielles à la santé et la sécurité globale. Prenant pour illustration un nouvel agent pathogène détecté auprès des patients quelque part dans le monde. La région concernée en informe l’OMS qui s’occupe de s’échanger en retour avec tous les états-membres. En cas de retrait, l’Amérique n’aurait plus sa place au sein du groupe de communication. Suerie résume la situation ainsi : « La première puissance mondiale n’aura plus accès à des informations critiques pour la santé publique et, inversement, ne sera plus soumise à la règle d’en tenir informé la communauté internationale ».

Gestion de crise
Entre l’Est et l’Ouest, démocraties et pays autocrates, qui, parmi eux, aurait mieux réussi en matière de gestion de crise ? Pour l’heure, aucun élément ne permet de valider ou non l’efficacité des mesures prises. Certaines démocraties ont échoué, comme le Brésil, tandis que la Chine, (malgré un début difficile), la Nouvelle-Zélande et le Vietnam, font partie des pays ayant bien géré la pandémie. De son côté, Suerie Moon préfère attendre des preuves avant de partager son analyse définitive. « J’ai entendu un certain nombre de théories intéressantes, mais je ne saurais pas encore définir les facteurs déterminants tant que la pandémie n’aura pas dit son dernier mot. » Ce qui l’intéresse, c’est plutôt la distinction entre les sociétés qui privilégient la pensée individualiste et celles qui adhèrent à l’approche collective. « Prenons la Corée du Sud, le gouvernement a très bien contrôlé l’épidémie, et bien que le pays soit une démocratie, son peuple accepte de partager ses données personnelles plus facilement que les Européens. »

Par ailleurs, en attendant d’être en mesure de répondre à la question, Suerie Moon a l’intime conviction que les pays qui ont mal géré la crise sont ceux qui ont dévalorisé la science. Elle est sans équivoque, qualifiant d’absurde un gouvernement qui pèse la santé publique contre l’économie : « C’est tout simplement faux de choisir entre les deux. Les pays qui se portent bien, prioritisent la gestion de la pandémie. Ce n’est qu’après qu’ils seront en mesure de rouvrir l’économie. » Par ces propos nous comprenons que c’est une politique de santé publique, basée sur la science et les preuves, qui engendre des réponses efficaces pour appréhender le virus. « Maîtriser la maladie d’abord, retourner à la vie normale ensuite, » précise l’experte.