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En février, un périple en Afrique a mené le patron du Département fédéral des affaires étrangères en Algérie, au Mali, au Sénégal et en Gambie. Ce voyage du conseiller fédéral et vice-président de la Confédération a servi de rampe de lancement à la nouvelle politique extérieure de la Suisse, qui tient davantage compte des opportunités qu’offre le continent africain pour un partenariat gagnant-gagnant.

Ces dernières années, de nombreux pays africains ont connu des taux de croissance élevés. Ce qui reflète que, malgré de nombreux problèmes conjoncturels et structurels, le continent africain regorge de potentialités économiques. Tenant compte de cette nouvelle réalité, la Confédération veut passer de la vieille coopération au développement, qui a fait son temps, à une politique extérieure adaptée aux réalités géographiques et économiques de ses partenaires africains. Avec un accent particulier sur les pays à fort taux de croissance que la Suisse considère comme des Lionnes, par analogie avec les « Dragons » et les « Tigres » d’Asie, comme l’explique Ignazio Cassis à Dossiers Publics.

Aby Wane : Monsieur le conseiller fédéral, Dossiers Publics vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions, qui vont principalement porter sur les stratégies MENA 2021-2024 et Afrique subsaharienne.
Pour commencer, pourriez-vous définir ce que sont les stratégies MENA et Afrique subsaharienne ?

Ignazio Cassis : Comme son nom l’indique, la stratégie MENA concerne la région de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA : Middle-East and North Africa). Elle définit la politique extérieure de la Confédération dans cette région pour la période 2021-2024. Ce document propose une analyse géopolitique, encadre les intérêts de la Suisse et définit les buts à atteindre ainsi que les mesures pour y parvenir. La stratégie « Afrique subsaharienne », elle, est la deuxième stratégie géographique du Conseil fédéral. Elle suit le même modèle que la Stratégie MENA, mais porte sur le continent africain au sud du Sahara. Des stratégies pour d’autres régions du monde vont suivre à l’exemple de la Chine ou encore des Amériques.

Ces stratégies géographiques servent à renforcer la qualité et la cohérence de l’action de politique extérieure du Conseil fédéral. La qualité, d’une part, car la Suisse dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit ; la cohérence, d’autre part, car ces stratégies sont coordonnées avec tous les départements fédéraux. Elles sont pour ainsi dire un compromis entre différents accents : de l’économie à l’environnement, de la paix aux flux migratoires, etc. Cette approche – nommée « Whole-of-Government » – est une nouveauté que j’ai déjà introduite dans la Stratégie de politique étrangère 2020-2023, autrement dit la stratégie « mère ». La cohérence de l’action politique suisse à l’étranger ainsi que son ancrage à l’intérieur de notre pays sont fondamentaux pour notre crédibilité dans le monde.

« Nous voulons ainsi consolider les conditions-cadre propices aux investissements, renforcer la bonne gouvernance et l’État de droit, et promouvoir le développement de services financiers durables. ”

Ignazio Cassis

Dans le cadre de cette stratégie, approuvée par le Conseil fédéral en octobre 2020, vous vous êtes rendu en visite officielle du 7 au 13 février en Algérie, au Mali, au Sénégal et en Gambie. À part l’Algérie, ces pays ne font pas partie de cette stratégie. Pourquoi les visiter maintenant ?
Les visites diplomatiques sont un instrument important dans la réalisation de nos stratégies. La stratégie MENA, approuvée par le Conseil fédéral en octobre 2020, a été inaugurée par ma visite en novembre dernier au Moyen-Orient (Israël, Territoire palestinien occupé et Émirats arabes unis). La stratégie Afrique subsaharienne, approuvée en janvier de cette année, a été quant à elle présentée lors ma récente visite au Mali, au Sénégal et en Gambie.

Lors de ce voyage, je me suis tout d’abord arrêté en Algérie, pays appartenant à la région MENA, pour plusieurs raisons. L’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest sont des espaces géographiques interconnectés. Les pays de ces régions font face à des défis communs qui intéressent la Suisse de très près : la paix et la sécurité, les dynamiques migratoires transnationales, la démocratie et l’État de droit, l’aide humanitaire ainsi que le développement durable. Autant de domaines où la Suisse est engagée.

L’Algérie est un pays très important du Maghreb et est fortement impliquée dans la question sécuritaire du Sahel. Elle est par ailleurs un acteur important dans le processus de paix au Mali et a un intérêt direct à voir émerger davantage de stabilité et de prospérité dans son voisinage sahélien.


De plus, l’Algérie et d’autres États d’Afrique du Nord, sont des pays d’accueil pour la migration en provenance d’Afrique subsaharienne. Ils jouent un rôle central dans ce domaine, où nous œuvrons à développer les coopérations existantes. C’est pourquoi l’intensification des échanges entre la Suisse, la région du Sahel et l’Afrique du Nord est l’une des mesures proposées dans nos stratégies.

Ignazio Cassis stratégies MENA 2021-2024 et Afrique subsaharienne Dossiers Publics
Rencontre avec le président du Sénégal Macky Sall

Votre département a mis en exergue, à la suite de votre voyage officiel, le dynamisme et les opportunités existantes dans une partie de l’Afrique subsaharienne, notamment dans la région des « Lionnes économiques  », dont fait partie le Sénégal. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le Conseil fédéral a adopté une nouvelle approche pour l’Afrique, après avoir notamment écouté les représentants diplomatiques africains en Suisse et avoir compris leurs besoins. Jusqu’ici, en politique étrangère, l’Afrique était surtout regardée avec les lunettes de la coopération au développement. S’il est vrai que les défis demeurent nombreux, les opportunités s’y développent aussi, et rapidement. L’Afrique n’est pas un continent homogène : elle est très grande et dispose de multiples facettes. Notre stratégie comporte trois chapitres dédiés principalement aux défis (la région du Sahel, la région des Grands Lacs et la grande Corne de l’Afrique) et deux autres aux opportunités (les Lionnes africaines et le multilatéralisme). Ces dernières années, de nombreux pays ont enregistré des taux de croissance élevés. Par analogie avec les « Tigres asiatiques », nous avons choisi d’appeler ces États africains les « Lionnes ».

La Suisse veut renforcer la collaboration avec ces pays et mieux prendre en compte leur potentiel économique. Nous voulons ainsi consolider les conditions-cadres propices aux investissements, renforcer la bonne gouvernance et l’État de droit et promouvoir le développement de services financiers durables. La protection du climat et la transformation numérique sont également des priorités. Je suis convaincu par exemple que la zone de libre-échange africaine (ZLECA), entrée en vigueur le 1er janvier 2021, permettra de faciliter le commerce et de créer des emplois pour les jeunes. Depuis lors, 41 pays peuvent échanger des marchandises dans le cadre des nouvelles règles touchant notamment les droits de douane et les taxes sur les biens importés.

À la suite de ces visites, la Suisse est-elle en discussion sur des projets avec ces pays ?
Ces visites servent à réaliser nos stratégies, c’est-à-dire à mettre en place des collaborations et des projets pour atteindre les buts définis. Avec mes différents interlocuteurs, nous avons identifié des pistes pour renforcer notre collaboration tant au niveau bilatéral qu’au niveau multilatéral. Avec chaque pays la Suisse utilise des instruments de coopération spécifiques. Par exemple, au Sahel, nous avons mis l’accent sur la paix et sécurité, l’aide humanitaire, l’État de droit et la démocratie. Tandis qu’au Sénégal, j’ai signé un accord sur les services aériens et une déclaration conjointe pour améliorer la coopération en matière de lutte contre le changement climatique. La question des conditions-cadres pour la création d’emplois et la réduction de la migration irrégulière a été abordée avec chacun de ces pays, tout comme la question des droits de l’homme, en particulier la liberté d’expression et de rassemblement.

Ignazio Cassis stratégies MENA 2021-2024 et Afrique subsaharienne Dossiers Publics
Visite d’une école de Sikasso, la deuxième ville du Mali, proche de la frontière du Burkina Faso, pour les enfants des déplacés internes.

Monsieur le conseiller fédéral, vous attachez beaucoup d’importance aux questions de développement durable. Quelle est la place de la durabilité dans la politique étrangère suisse ?
La Confédération veut bâtir une société humaine qui lui permette d’assurer sa pérennité. Le maintien d’un environnement vivable ainsi que la promotion d’un développement économique et social équitable en sont les enjeux principaux. Le Conseil fédéral a inscrit la durabilité dans sa stratégie de politique étrangère 2020-2023, où elle figure en tant qu’axe thématique, aux côtés de la paix et de la sécurité, de la prospérité et de la numérisation. Pour ce qui est de la politique intérieure, le Conseil fédéral adopte régulièrement une Stratégie pour le développement durable. Tant la Stratégie de politique étrangère 2020-2023 que la Stratégie pour le développement durable 2030 (actuellement en consultation) se fondent sur l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable. Cet agenda est le cadre de référence qui guide tous les États du monde vers la réalisation des objectifs du développement durable.

D’après vous, quels sont les principaux atouts de la Suisse à l’étranger ?
La Suisse bénéficie d’une image positive dans le monde. Notre démocratie directe, notre stabilité politique et notre prospérité sont souvent regardées avec admiration. La neutralité et la tradition humanitaire jouent un rôle important dans l’imaginaire collectif. Avec des frontières stables depuis plus de 500 ans, la Suisse ne fait pas peur !

L’absence d’un passé colonial a été particulièrement rappelée par nos interlocuteurs africains, alors que sa neutralité lors des deux guerres mondiales est souvent thématisée par nos amis européens. La tradition humanitaire est mondialement connue et nos interlocuteurs les plus lointains assimilent parfois le drapeau suisse à celui de la Croix-Rouge, ce qui me réjouit au vu du lien étroit entre la Confédération et cette organisation.

En Afrique, grâce à sa présence depuis plusieurs décennies dans l’aide au développement, la Suisse inspire confiance et l’intérêt pour une coopération avec notre pays est important. Le continent africain a également beaucoup à offrir et nous allons progressivement y renforcer notre présence.

De manière plus générale, nous vivons en paix dans un pays sûr, économiquement performant et doté d’un excellent système éducatif et scientifique. Nous bénéficions également de l’ensemble des droits fondamentaux constitutifs d’une démocratie. Je suis convaincu que ce sont de précieux atouts qui permettent à la Suisse de s’affirmer sur le plan international.

Ignazio Cassis stratégies MENA 2021-2024 et Afrique subsaharienne Dossiers Publics
Visite de la MINUSMA dans le cadre des engagements multilatéraux de la Suisse. Photos ©DFAE