Publicités

Après le Lötschberg et le Gothard, le flambant neuf tunnel du Mont-Ceneri est le dernier opus de l’Alptransit, vaste projet étalé sur plusieurs décennies et visant à doper le trafic ferroviaire entre la Suisse et ses pays voisins. Point de situation.

L’année 1992, celle du « non » retentissant de la Suisse à Maastricht, entérine avec fracas le refus de notre population d’être membre de l’Union Européenne. Erreur stratégique du siècle selon certains, réflexe salutaire selon les autres. Chacun a probablement eu le temps de nuancer sa vision péremptoire des choses depuis, mais c’est un autre débat. Paradoxalement, 1992 est aussi l’année du « oui » au projet des NLFA (Nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes) ou Alptransit – incluant les tunnels du Lötschberg ouvert en 2007, du Gothard en 2016 et du dernier venu, le Monte Ceneri. Un projet titanesque, tentaculaire, qui souligne la volonté de la Suisse de prendre à bras-le-corps le rôle central que les hasards de la géographie lui ont attribué en Europe. Ni vraiment dehors, ni vraiment dedans, c’est un peu notre credo national depuis toujours, après tout…

Le Ceneri est donc le dernier ouvrage à travers les Alpes, destiné à redessiner le trafic ferroviaire entre le nord et le sud du continent européen ces prochaines années. Une inauguration en « petites pompes » le 4 septembre dernier par la Présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga, accompagnée du Conseiller fédéral en charge des affaires étrangères Ignazio Cassis et du Président du Conseil d’Etat tessinois Norman Gobbi. En revanche, aucun haut représentant de l’UE ou de nos pays voisins n’avait fait le déplacement au Tessin pour l’occasion, ce qui peut paraître d’autant plus étonnant -voire vexant, à parler franchement- que la politique de transports mise en oeuvre par la Suisse aura un impact positif pour eux aussi…

On notera en effet que le Ceneri vise plusieurs objectifs à long terme : transférer le trafic, déjà chargé, de la route au rail, continuer à protéger les Alpes ainsi que fluidifier la circulation sur un axe ferroviaire reliant Rotterdam aux Pays-Bas à Gênes en Italie. Comme souligné par Ignazio Cassis dans son allocution, « La Suisse est née et a grandi en faisant fructifier sa position géographique au cœur des Alpes, au centre de l’Europe. Avec cet ouvrage futuriste, nous marquons notre appartenance au continent européen, hier comme aujourd’hui, (…) ».

Avec cet ouvrage futuriste, nous marquons notre appartenance au continent européen, hier comme aujourd’hui

Ignazio Cassis

Sur le terrain des discussions et négociations bilatérales, la Suisse a souvent montré patte blanche, et ce nouveau tunnel sera de facto un nouvel atout dans son jeu, que les politiques helvétiques auront certainement à coeur de faire valoir. Sachant que les NLFA ont coûté à ce jour la bagatelle de 22,6 milliards de francs, avouons qu’il serait dommage de s’en priver.

Le tunnel du Ceneri, long de 15,4 km, s’élève à 329 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il est conçu pour accueillir jusqu’à 170 trains de marchandises et 180 trains de passagers par jour. En raison de délais causés par le Covid-19, il faudra attendre début avril 2021 pour que l’ensemble des connexions soit opérationnel.

Quelles répercussions pratiques ?
Proximité oblige, c’est avant tout les transports tessinois qui se verront le plus impactés par la mise en service du tunnel du Monte Ceneri, réduisant notamment le temps de trajet entre Bellinzone et Lugano d’un bon tiers. La ligne ferroviaire à grande vitesse à travers les Alpes doit permettre au Tessin d’entrer dans une nouvelle ère. A terme, certains se plaisent à imaginer la création d’une « ville-Tessin », soit une seule grande agglomération cantonale. Mais le trafic international n’est pas en reste. Dès l’année prochaine, Milan ne sera plus qu’à trois heures et des poussières de Zurich. Le Gothard avait ouvert la voie à la réduction du temps de trajet entre la Suisse et l’Italie, le Ceneri l’accélère encore.

Toutefois, au-delà de ce gain en termes de confort de déplacement, le changement le plus substantiel est celui lié au transfert du trafic des marchandises de la route au rail. Le deuxième objectif d’Alptransit, inscrit dans la Constitution après l’acceptation de l’Initiative des Alpes en 1994, prévoit une réduction du nombre de poids-lourds en transit à travers les Alpes – de 1,4 millions en 2000 à 650 000 à moyen terme. Un objectif que devait permettre l’ouverture du tunnel de base du Gothard.Toutefois, force est de constater que cela n’aura pas suffi, quand bien même on enregistre une réduction du nombre de poids-lourds. A cet égard, en améliorant la liaison vers Chiasso et Milan, le tunnel du Monte Ceneri offre un nouveau débouché au trafic de marchandises le long du corridor Bellinzone/Luino/Gallarate.

Pour que ces visées se matérialisent sur le terrain, encore faut-il que les voies d’accès aux tunnels soient adaptées, ce qui implique de substantiels investissements aussi bien de la part de la Suisse que de ses pays limitrophes. Si des transformations sont d’ores et déjà en cours à cet égard, elles sont pour l’heure davantage ciblées sur l’amélioration et le désengorgement de l’infrastructure existante que sur la création de nouvelles voies ou raccordements.

En outre, elles impliquent, pour être réellement efficaces et significatives, d’être orchestrées de concert avec les pays voisins. Une synchronisation des agendas, et sans doute des priorités qui fait encore cruellement défaut. On en reparle dans 28 ans ?