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Cathédrale de Lausanne, Château St-Maire, Vaudoise Arena, Vortex, Maison de l’Environnement, MCBA ou encore Plateforme 10, autant de noms évocateurs de chantiers et de réalisations d’envergure entrepris depuis 2017 dans le canton avec l’Etat de Vaud comme point commun dans leur financement. Son Chef du département des finances et des relations extérieures Pascal Broulis retrace lors d’un entretien exclusif avec Dossiers Publics les axes dynamiques que lui et son équipe se sont fixés depuis sa prise de fonction en 2002.

Dossiers Publics: Dans son programme de législature 2017-2022, l’État de Vaud a dégagé trois axes prioritaires, dont une « politique d’investissement dynamique » était l’un des piliers. À mi-parcours, cet objectif est-il tenu?
Pascal Broulis: Oui. Je crois que le dynamisme vaudois en matière d’investissements est incontestable. Pour s’en convaincre il suffit de penser à ce bâtiment emblématique qu’est « Vortex », qui a reçu les sportifs des Jeux Olympiques de la Jeunesse et qui logera près de 1700 étudiants à partir de la prochaine rentrée. Avant d’être transmis à la Caisse de pension de l’État de Vaud qui en a assuré la construction et le financement, tout le projet a été conçu et préparé par ce qui est aujourd’hui la Direction générale des immeubles et du patrimoine (DGIP). Le Crédit d’études sur le site de La Pala a été accordé par le Grand Conseil en septembre 2014, le lauréat du concours annoncé en juin 2015. Le premier coup de pioche a été donné le 15 mai 2017 et les clés remises aux organisateurs des JOJ le 31 octobre 2019, après 21 mois de chantier. Pour un bâtiment de 156 millions de francs je pense qu’on peut parler de prouesse. Mais il n’est pas toujours simple d’investir. Si je pense au tramway de l’ouest lausannois, je rappelle qu’un crédit de 453 millions de francs a été accordé en juin 2016 par le Grand Conseil mais que le projet en a tout juste fini avec les recours. Reste que l’État est actif dans tous les domaines: culture, rail, route, santé, pénitentiaire, formation, justice, monuments historiques… La liste est longue.

Votre canton a donc lancé (ou va lancer) une huitantaine de gros projets. Au total, à combien se montera la facture de ces chantiers et est-ce que vos finances vous permettent une telle « folie »?
La synthèse des investissements lancés depuis 2011 et projetés jusqu’en 2025 fait apparaître un engagement global de quelque 14,28 milliards de francs sur 15 ans, soit 11,37 milliards nets pour l’État. En ce début 2020, le total des objets en cours approche 4 milliards de francs et toutes ces dernières années, un montant de l’ordre de 600 millions de francs par an a été investi par l’État. Ce n’est pas une « folie » mais l’adaptation, la modernisation, la création d’infrastructures de haut niveau correspondant à un canton dynamique. Quand je suis entré au Grand Conseil en 1990, Vaud comptait 570 000 habitants, nous sommes aujourd’hui 810 000. Investir c’est accompagner cette croissance de tous les segments de notre population, jeunes, moins jeunes, actifs, dans tous les domaines, en garantissant la cohésion sociale. Dans le même temps, le taux de chômage du canton a été divisé par trois. Et c’est en adéquation avec nos finances et un budget annuel qui va passer les 10 milliards de francs en 2020.

À votre arrivée au gouvernement, les finances n’étaient pourtant pas au beau fixe. Quelle a été votre formule magique pour redresser le cap?
Il n’y a pas de « formule magique » et certainement pas de magicien solitaire. Le redressement des finances vaudoises a été un travail collectif, depuis près de deux décennies, du Conseil d’État, du Parlement et de la population qui a notamment avalisé en 2002 une nouvelle constitution avec un important volet financier et un frein à l’endettement. Ce qui a été déterminant, c’est un consensus sur l’objectif de redressement et une méthode opiniâtre et non spectaculaire, cumulant des centaines de mesures différentes – plus de 880 de 2004 à 2007 – un renforcement institutionnel avec une série de lois, un renforcement des contrôles. Et puis, le maintien de cette préoccupation parmi les priorités gouvernementales avec un souci d’équilibre économique et social. La RIE III, c’est éviter de mettre tous nos œufs dans le même panier, travailler à long terme à des finances saines en favorisant la diversification du tissu économique et donc des places de travail pour nos enfants.

Pascal Broulis

 » Ce dont le Canton de Vaud peut être fier c’est d’être revenu au premier plan après une crise douloureuse. »

Pascal Broulis

Parmi tous ces projets, lequel vous tient le plus à cœur? Pourquoi?
Difficile. Chaque projet a sa dynamique propre. S’il faut vraiment en distinguer un, je mentionnerais Plateforme 10, ce quartier des Musées qui vit déjà avec le nouveau MCBA et dont la seconde étape réunissant le Musée de l’Elysée, consacré à la photographie, et le Musée de design et d’arts appliqué contemporain, Mudac, est en construction. C’est la reconquête d’un site lausannois oublié, à deux pas de la gare, complètement en phase avec la logique actuelle d’utilisation de l’espace urbain. C’est aussi la démonstration qu’un échec, celui du projet de musée à Bellerive, peut être transcendé, pour finalement donner naissance à une solution meilleure.

De l’extension de la « Banane » au Centre sportif de Dorigny en passant par l’agrandissement du Gymnase broyard, plusieurs investissements concernent la formation. Est-ce le domaine le plus coûteux?
En matière de politiques publiques il n’y a pas de classement à établir entre les différents domaines d’intervention de l’État. Chaque projet d’infrastructure est à considérer en fonction des opportunités de réalisation qui peuvent être complexes et dépendre notamment de la disponibilité des terrains et de la volonté d’aboutir des communes concernées; de sa nécessité; de son efficacité; de son insertion dans le territoire et évidemment de son coût. Mais l’avenir de nos jeunes passe par la formation qui est un des atouts du canton. Il me paraît normal d’y investir de façon importante.

Parmi les réalisations de cette législature, il y en a une qui est intercantonale: l’Hôpital du Chablais, en partenariat avec le Valais. Est-ce courant de partager les frais d’un projet avec un canton voisin?
Là encore, avant de partager les coûts, on partage un projet. L’hôpital Riviera-Chablais n’a pas été planifié par les cantons de Vaud et du Valais pour se répartir une facture, mais parce qu’il était intelligent de desservir les deux territoires concernés avec un seul établissement de soins aigus. C’est un long processus, les premières discussions remontent à deux décennies et la décision de principe a été prise en 2001. Mais ce n’est pas une première et cela ne concerne pas que le domaine hospitalier, si je songe par exemple au Gymnase intercantonal de la Broye.

Et est-ce évident de collaborer par-dessus les frontières cantonales?
C’est l’essence du fédéralisme dans un pays qui est une Confédération de micros-états aux compétences importantes. Vaud a des frontières avec cinq voisins, Genève, Neuchâtel, Berne, Fribourg et le Valais. Nous sommes habitués à collaborer avec tous. Ce qui doit être évident c’est le bien-fondé d’un projet. Après il y a évidemment des difficultés et des obstacles mais ils peuvent être surmontés. La preuve, cet hôpital existe et est désormais en fonction.

Parmi les réalisations récemment achevées il y a aussi le Vortex, ce complexe de logements pour 1700 étudiants à Chavannes-près-Renens. Est-ce le rôle de l’État de jouer aux promoteurs immobiliers?
C’est le rôle de l’État d’être un catalyseur de projets et de toujours chercher les bons partenaires pour une réalisation et une exploitation ultérieure optimale. Dans le cas de Vortex, les Jeux Olympiques de la Jeunesse qui viennent de s’achever sur un succès d’organisation reconnu de tous ont été non pas le déclencheur mais l’accélérateur d’une construction remarquable. Elle fera partie de l’héritage des JOJ et s’inscrit pleinement dans l’agenda 2020 du CIO. L’État me paraîtrait concevoir son rôle de façon étriquée en se bornant à recapitaliser sa caisse de pension, ce qu’il a fait à hauteur de 1,4 milliard de francs, sans se soucier de la suite. Avec Vortex il confie à cette caisse un objet au rendement intéressant mais non spéculatif qui remplit un objectif d’utilité publique.

Peut-on dire qu’avec autant de réalisations en cours ou planifiées, l’État de Vaud est le plus gros maître d’ouvrage du canton?
Absolument. C’est même l’un des plus importants de Suisse puisqu’il arrive en troisième position, derrière la Confédération et les CFF et devant le Canton de Zurich.

Le canton va investir plus de 20 millions pour rénover la cathédrale de Lausanne. Mettre autant d’argent dans des vieilles pierres plutôt que d’investir sur l’avenir, cela a-t-il un sens à vos yeux?
Le Service constructeur de l’État est la DGIP, pour Direction générale des immeubles et du patrimoine. Je crois que cela dit assez bien qu’il ne s’agit pas de faire l’un au détriment de l’autre mais d’être attentifs à nos monuments historiques comme à nos nouveaux équipements. Cela naturellement en priorisant les réalisations en fonction des possibilités. La reconstruction du Parlement vaudois, détruit par un incendie en 2002, a ainsi attendu le rétablissement des finances cantonales pour être reconstruit et inauguré le 14 avril 2017 et le Château St-Maire, siège du gouvernement, a été entièrement rénové et inauguré un an plus tard, le 14 avril 2018. Pour la Cathédrale, il s’agit d’arriver au terme d’un cycle d’importantes rénovations, entamé dès 1972. Il sera ensuite possible d’entrer dans une phase de maintien préventif et de conservation à long terme. Le Département vient de mettre en consultation une révision complète de la Loi sur la protection de la nature, des monuments et des sites (LPNMS), sur ses aspects de protection du patrimoine bâti et archéologique.

Je ne vois pas comment une Maison de l’environnement pourrait être érigée selon des standards qui ne tiendraient pas compte de l’écologie.

En 2017, l’État de Vaud a lancé le projet de Maison de l’environnement à Vennes, tout en bois, c’est pour se donner une bonne image en ces temps où l’écologie est un des thèmes d’actualité prépondérants ?
Je ne vois pas comment une Maison de l’environnement pourrait être érigée selon des standards qui ne tiendraient pas compte de l’écologie. Ce serait tout-de-même assez curieux, non? Mais oui, le symbole d’une construction recourant aux matériaux d’ici, puisqu’elle est à la fois en bois indigène et en pisé, soit en terre indigène, organisée autour de deux atriums permettant de réguler le climat intérieur. C’est aussi un laboratoire dont d’autres pourront sans doute s’inspirer ultérieurement.

On l’a vu lors des élections fédérales, le climat est devenu un des thèmes prioritaires de la campagne.
Que fait votre canton en matière de développement durable ou de protection de l’environnement?
Ce sont des données intégrées à toutes les politiques publiques. Je vous renvoie à l’Agenda 2030 du Canton qui est intégré au programme de législature 2017-2022. S’agissant des investissements futurs, j’aimerais relever tout ce qui concerne les transports publics avec le tramway de l’ouest lausannois évoqué au début de cet entretien mais aussi les projets de développement du M2, ou la construction d’un nouveau M3. Si l’on y ajoute les améliorations en train d’être apportées au LEB, on approche 1,5 milliard de francs investis dans une mobilité respectueuse du climat.

On parle beaucoup du concept Smart City. Est-ce une notion à laquelle votre gouvernement est sensible et que fait l’État de Vaud en la matière?
Je crois qu’à l’heure actuelle et comme son nom l’indique, le bon niveau institutionnel pour les Smart City, définies comme les villes qui s’appuient sur la technologie pour favoriser la qualité de vie de leurs citoyens, est celui de la commune. C’est d’ailleurs là qu’on voit se prendre le plus d’initiatives très directement en contact avec le terrain comme la gestion de places de parc, de consommation d’eau etc. Et je pense que c’est juste ainsi parce que les projets seront très différents entre un bourg campagnard, une grande ville, une station de montagne. Pour les cantons, une autre préoccupation est toutefois la protection des données. La révision en cours de la loi fédérale sera ici très importante pour savoir jusqu’où on peut aller et ce qui est admissible. Personne, ici, ne veut voir son nom et son visage s’étaler sur un écran s’il traverse au rouge…

Le MCBA en chantier à Lausanne et le jour de son inauguration. © Etat de Vaud, Markus Schweizer

En ce début d’année, les Jeux olympiques de la jeunesse font figure d’événement planétaire. Le budget de ces JOJ 2020 est de 40 millions et ils ont nécessité plus de 420 millions d’investissements (Centre sportif de Malley et Vortex notamment). Le jeu en vaut-il la chandelle, si j’ose dire?
Les investissements que vous mentionnez étaient de toute façon nécessaires et d’ores et déjà prévus. Une des grandes forces de ces jeux, relevée par tous les observateurs, est en effet de ne s’être reposée que sur les infrastructures existantes ou déjà planifiées. Pour l’existant, c’est ainsi qu’on est allé faire du bob, de la luge et du patinage de vitesse à Saint-Moritz, du curling à Champéry ou du biathlon aux Tuffes, en France, à un jet de pierre de notre frontière. La Vallée de Joux a pu renouer avec la haute compétition. Pour ce qui a été bâti, n’oublions pas la modernisation d’installations dans les Alpes vaudoises, notamment dans une perspective de tourisme quatre-saisons. Lausanne avait besoin de sa nouvelle infrastructure de glace et les étudiants des Hautes Écoles avaient besoin de logements. On a fait dans tous les cas d’une pierre deux coups. Les Jeux en valaient complètement la chandelle.

Vous venez d’être porté pour la 2e fois à la présidence de la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale. Qu’est-ce que cela représente pour vous et qu’est-ce que ça peut apporter à votre canton?
La CGSO regroupe les cantons de Berne, Fribourg, Valais, Neuchâtel, Genève, Jura et Vaud. Elle a pour principal objectif d’assurer le suivi et la coordination politique, ainsi qu’un échange intense d’informations entre ses membres pour tout ce qui concerne les dossiers fédéraux. Elle donne à la Suisse occidentale une position d’interlocuteur reconnu vis-à-vis de la Confédération, des autres régions du pays et des régions transfrontalières. Une présidence dans ce cadre, c’est une fonction de vigie et de courroie de transmission. Il faut être attentif, notamment dans une optique de promotion et de renforcement du fédéralisme et favoriser le dialogue. Un canton n’est jamais fort tout seul, voici déjà ce que cela peut apporter d’essentiel.

Depuis votre arrivée au gouvernement en 2002, quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier?
Et votre plus grand regret?

Ce dont le Canton de Vaud peut être fier c’est d’être revenu au premier plan après une crise douloureuse. Nous avons ausculté en profondeur nos finances, nous les avons soumises à un rating qui est passé de la note A en 2003 à AAA en 2013, dix ans plus tard. Dans la logique du développement durable, nous avons aussi réussi à réduire considérablement notre dette pour éviter de la léguer aux générations futures et nous avons obtenu du même coup une marge de manœuvre et une large capacité d’investissement. Il y a ici un dynamisme reconnu, de l’inventivité, une voix qui porte à nouveau sur la scène fédérale, une position retrouvée grâce à un élan collectif. Si je suis heureux de quelque chose, c’est d’avoir pu y contribuer dans un gouvernement où la collégialité est un principe cardinal. Pour le reste, cela n’a pas tellement de sens de se décerner les lauriers, ni d’ailleurs de s’auto-flageller.


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Pascal Broulis emmène ses lecteurs à travers 262 petites histoires sur les différentes facettes du pouvoir, basées sur des faits réels, afin d’interpeller et de créer le débat.