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La tendance à adopter le chalet comme habitat traditionnel en montagne mérite d’être interrogée, indique Patrick Giromini, chargé de cours à l’EPFL. Dans un ouvrage très documenté, le chercheur rappelle combien notre rapport à la montagne découle d’une construction sociale forgée au 18e siècle déjà.

«Ma recherche est partie d’une question très simple: qu’est-ce que les constructions rurales des montagnes valaisannes ont à nous apprendre sur l’exploitation du territoire alpin?», introduit d’emblée Patrick Giromini. L’architecte a réalisé son doctorat en parallèle de ses activités de chargé de cours à l’EPFL au sein du Laboratoire des Arts pour les Sciences (LAPIS), dirigé par le professeur Nicola Braghieri. Durant six ans, il a accompagné ses étudiantes et étudiants en architecture dans les Alpes valaisannes pour les faire dessiner des bâtiments utilitaires propres à la culture rurale. «Le relevé leur permet de comprendre les logiques constructives de ces bâtiments. Mon hypothèse de travail s’est construite au fil des ans, grâce à leurs travaux.» L’architecte valaisan vient de faire paraître un livre basé sur son doctorat, réalisé au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC): Transformations silencieuses, Étude architecturale du bâti alpin (Metispresses). Dans une démarche d’open science, le livre est librement téléchargeable sur le site de l’éditeur.

Ni sauver ni monumentaliser

Basé sur une importante recherche historique, foncière et juridique, et sur des études de cas centrées sur le Val d’Hérens, l’ouvrage de Patrick Giromini questionne indirectement, mais en profondeur, les pratiques architecturales et urbanistiques actuelles. Le chercheur aborde notamment la question patrimoniale et préconise de concevoir les constructions rurales alpines comme un habitat ordinaire qu’il ne faut ni sauver à tout prix de la ruine ni monumentaliser. «Une manière de respecter et de poursuivre les logiques de ces bâtiments est celle d’accepter leur perte comme un moyen durable de penser la construction en montagne», souligne l’auteur, conscient que son approche peut bousculer les sensibilités en place.

L’application à la montagne d’une morphologie urbaine, tant mentale qu’opérationnelle et normative, trahit les raisons propres à ce territoire.

Patrick Giromini, chargé de cours, Laboratoire des Arts pour la science (LAPIS), EPFL

Pour lui, les transformations pratiquées actuellement, par exemple sur les vieux raccards, ne leur font pas honneur: «L’application à la montagne d’une morphologie urbaine, tant mentale qu’opérationnelle et normative, trahit les raisons propres à ce territoire.» En tant qu’architecte en charge des Monuments historiques du Canton du Valais, il aborde directement la question de l’abandon de ces bâtiments par l’entremise du cadre légal et juridique du patrimoine bâti. Son objectif? Ne pas transformer la montagne en musée. «La question à laquelle je dois répondre est celle-ci: a-t-on le droit de percer une nouvelle fenêtre? C’est une question qui engage une durabilité tant matérielle, que sociale, économique et politique, car c’est un patrimoine complexe.»

Des étudiantes et étudiants en train d’effectuer des relevés dans la région d’Evolène. © LAPIS / EPFL

S’inspirer du passé

On le voit bien, à travers le destin de l’héritage bâti en montagne, une question plus fondamentale traverse le travail de Patrick Giromini: comment vivre à la montagne aujourd’hui? Là aussi, le chercheur pense que le passé peut être une source d’inspiration, car les communautés montagnardes ne consommaient pas plus que les ressources à leur disposition et exploitaient le territoire à leur échelle. Un constat qui l’amène à s’interroger sur la situation actuelle: «Est-ce qu’une économie sociale qui pousse absolument à exploiter touristiquement et de manière massive le territoire alpin est correcte?»

Le chercheur consacre ainsi une partie de son ouvrage à déconstruire ce qu’il nomme les «poncifs alpins». Ceux-ci, pousseraient notre société depuis le dernier quart du 19e siècle à «mettre à plat la montagne», pour introduire une ressemblance morphologique avec la ville, tout en conservant l’idée paradoxale que la montagne est le creuset de modes de vie préservés, car authentiques et immaculés.

Le chalet est peu à peu devenu cette habitation qui formalise une recherche d’exotisme et d’évasion.

Patrick Giromini, chargé de cours, Laboratoire des Arts pour la science (LAPIS), EPFL

Du chalet au territoire

Le succès socio-économique du chalet est à ce titre exemplaire, selon Patrick Giromini, qui en aborde la généalogie à partir du 18e siècle. «En Valais, historiquement, le chalet est un lieu, une étape du remuage, c’est-à-dire le déplacement du bétail du village aux alpages, et non une habitation temporaire ou stable», rappelle-t-il. «Le chalet est peu à peu devenu cette habitation ‘typique’, à la fois montagnarde et extraterritoriale, qui formalise une recherche d’exotisme et d’évasion, un lieu à la périphérie du monde civilisé qui répond à un besoin de pittoresque.» Dans l’ouvrage, le chercheur souligne encore que la logique reproductible du chalet, pratiquée par l’industrie dès le 19e siècle, a participé à sa grande fortune jusqu’à nos jours.

Au lieu de se focaliser sur «le vieux chalet», chanté depuis des décennies, c’est toute l’exploitation du territoire alpin qui doit être repensée, selon Patrick Giromini. Et l’architecte de souligner encore cette contradiction, sous forme de pique: «Monumentaliser les villages alpins dessert ceux-ci tant que cela autorise des économies urbaines déstructurées en marge des villes, notamment dans les zones industrielles.»

Patrick Giromini, Transformations silencieuses, Etude architecturale du bâti alpin, Metispresses, 4 novembre 2022.

Version numérique téléchargeable.

Source: EPFL