Publicités

S’il porte haut les couleurs de la Suisse dans le monde entier, Bertrand Piccard n’en est pas moins, et avant tout, un citoyen de la planète actif et engagé. Tour d’horizon sur terre, dans les airs et jusqu’au plus profond des océans.

L’une des premières personnalités qui vient à l’esprit lorsqu’on associe les mots Suisse et protection de l’environnement est sans nul doute Bertrand Piccard. L’homme de Solar Impulse, du tour du monde en ballon, tout droit sorti d’un roman de Jules Verne relu et corrigé par Philip K. Dick, répond aux questions de Dossiers Publics. Il nous parle de sa vie presque ordinaire de père de famille, psychiatre, aéronaute, aventurier, visionnaire et fervent défenseur des technologies propres.

Si vous deviez nous faire un «elevator pitch» au sujet de Bertrand Piccard, nous dire qui il est, ce qu’il fait dans la vie, en quelques phrases ?
En ma qualité de médecin, je suis passionné par la qualité de vie de l’humanité, et en tant qu’explorateur, je m’intéresse aux nouvelles manières de penser et d’agir. C’est ce qui m’a amené à faire deux tours du monde. Le premier sans escale en ballon, et le second en avion solaire. Je me consacre désormais à la recherche de solutions financièrement rentables au défi environnemental, afin de sortir du clivage entre économie et écologie.

A quoi ressemble une de vos journées (a)typiques ?
Il n’y a aucune routine, ni aucune habitude. Une journée peut aller d’un vol en avion électrique, à une conférence pour des chefs d’État, en passant par la rédaction des réponses à une interview.

On a souvent parlé de votre ascendance proprement unique au monde, qu’il s’agisse de votre père comme de votre grand-père, chacun dans son domaine. Pourriez-vous nous parler un peu de vos racines et de ce qu’elles ont fait de vous ? Est-ce que cela vous a donné une grande liberté ou plutôt une forme de pression ?
Avec la première ascension stratosphérique effectuée par mon grand-père en 1931, ainsi que la plongée de mon père dans la fosse des Mariannes en 1960, j’ai eu des exemples fascinants d’expéditions scientifiques utiles ayant pour but de protéger l’environnement. Mon grand-père a voulu prouver qu’il était possible de voler dans de l’air raréfié, avec moins de résistance, et ainsi faire des économies de carburant, et la plongée de mon père avait pour but de démontrer l’existence de vie dans les fosses marines et ainsi empêcher les gouvernements d’y jeter leurs déchets radioactifs. Pour moi, l’aventure scientifique a toujours eu pour but de protéger l’environnement, et c’est ce que j’ai souhaité faire avec mon tour du monde en avion solaire, afin de promouvoir les technologies propres et les énergies renouvelables.

Mon père ne m’a jamais enfermé dans le besoin de suivre la tradition familiale. Au contraire, il m’a toujours laissé libre de faire ce que je voulais, à une seule condition : avoir un esprit de pionnier, de la curiosité et de la remise en question. J’avais donc une grande liberté, ce qui m’a permis de décliner l’héritage familial sur un plan humaniste.

Ce que je m’efforce de faire, c’est de réconcilier économie et écologie, en montrant que la protection de l’environnement crée plus d’emplois et rapporte plus de profits que sa destruction

Parmi vos nombreuses fonctions, on notera celle d’Ambassadeur de Bonne Volonté dans le cadre du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et conseiller spécial de la Commission Européenne. Comment définissez-vous votre mission, vos responsabilités et vos objectifs?
Ce que je m’efforce de faire, c’est de réconcilier économie et écologie, en montrant que la protection de l’environnement crée plus d’emplois et rapporte plus de profits que sa destruction. Pour le prouver, j’ai lancé la Fondation Solar Impulse, avec le but de sélectionner 1000 solutions financièrement rentables capables de protéger l’environnement et de les amener aux dirigeants économiques et politiques afin de leur donner les outils pour adopter des politiques environnementales plus ambitieuses.

L’explorateur de la nature a-t-il encore sa place dans un monde gouverné par la technologie? Comment imaginez-vous l’aventurier du XXIe siècle ?
Aujourd’hui, il reste de la place pour l’aventure personnelle. Celle qui consiste à faire des exploits qui ont déjà été accomplis par d’autres mais dont on s’inspire soi-même pour dépasser ses propres limites. En termes d’exploration, ce ne sont plus de nouveaux territoires qu’il faut découvrir, car nous les avons tous découverts, jusqu’à la Lune, mais plutôt des nouvelles manières de vivre de manière durable, de protéger l’environnement, de lutter contre la pauvreté, et de lutter contre les grands défis de notre époque.

Bertrand Piccard, lors de son tour du monde aux commandes de l’avion solaire Solar Impulse 2

Après l’exploit du tour du monde en avion solaire, peut-on s’attendre à un nouveau projet fou de votre part ?
Personne n’est à l’abri d’un nouveau rêve. Mais pour l’instant mon but est vraiment de développer le portfolio des 1000 solutions.

Face à la montée des inégalités sociales, le changement climatique et les conséquences qu’il entraîne, l’incertitude économique dans une période particulièrement troublée, quel est le message du « savanturier » Piccard ?
Les inégalités ne sont pas seulement moralement inacceptables, elles sont aussi extrêmement dangereuses pour la stabilité de notre monde. La décroissance prônée par certains écologistes renforcerait à mon avis les inégalités. Et ce que je prône aujourd’hui c’est un nouveau modèle de croissance durable : qualitative, et non plus seulement quantitative, qui permet de créer des emplois et de générer du profit en remplaçant tout ce qui pollue par ce qui protège l’environnement. Ceci est également possible dans les pays en voie de développement, où les énergies renouvelables permettent de créer de la richesse locale et de réduire les inégalités.